Nichée à 1 500 m d’altitude au creux d’un cirque de montagne, Medellin est surnommée la « ville de l’éternel printemps » en raison de son climat doux toute l’année. C’est la deuxième ville de Colombie.
Malgré son surnom pour le moins évocateur d’une ville où il fait bon vivre, cette mégapole de 2,5 millions d’habitants a longtemps été réputée pour son extrême insécurité. C’est ici, dans les années 70, que le « Cartel de Medellin » a vu le jour.
Cette organisation criminelle colombienne ultra-violente spécialisée dans le trafic de cocaïne depuis l’Amérique du sud vers les États-Unis puis vers l’Europe et le Canada est indissociable de Pablo Escobar, le baron de la drogue.
Qu’en est-il aujourd’hui de cette ville au passé (proche) sulfureux ?
28 - 31 août 2018. La Comuna 13
Elle est l’une des seize communes réparties sur les hauteurs de Medellin.
Sa visite nous tient particulièrement à cœur car elle va nous permettre de passer quelques heures dans l’un des quartiers qui figuraient, il y a quelques années, parmi les plus dangereux du monde.
Mais ça, c’était avant ! Depuis peu, l’endroit est accessible aux touristes et ce, pour notre plus grande joie.
Hervé, un français marié à une franco colombienne va nous servir d'interprète et Snipper, un jeune gars du quartier nous accompagne.
Snipper, âgé de 28 ans, n’était pas encore né lorsque tout a commencé mais a vécu par procuration le passé tragique de la Comuna 13. Ses parents et grands-parents lui ont tant de fois raconté l’histoire qu’il se l’est appropriée !
Il nous raconte...
La naissance...
Dans les années 1950, les guérillas (mouvements communistes et d’extrêmes gauche) et les paramilitaires (mouvements d’extrême droite à la « botte » des riches propriétaires) sévissent en Colombie. Pour fuir les exactions, les paysans quittent alors leur campagne. N’ayant nulle part où aller, ils s’approprient des terres dont personne ne veut en raison des pentes abruptes et s’installent sur les hauteurs de Medellin. Au milieu de l’immense pauvreté, sans travail, sans service de base (eau, électricité), ils construisent des cahutes avec des matériaux de récupération : tôle, plastique, bois... Les favélas voient le jour. La Comuna 13 compte jusqu’à 160 000 habitants. Les autorités se désintéressent de ces populations, ne les considèrent aucunement comme des Medellinenses et, par conséquent, ne leur apportent aucune aide !
L’extrême pauvreté, les maisons surpeuplées, les ruelles étroites et escarpées en font un terreau privilégié pour les trafics en tout genre.
De 1970 à 1990 : un passé turbulent...
En 1976, le « cartel de Medellin » se met en place. Pablo Escobar, le roi de la cocaïne, contrôle le quartier. Il exporte alors mensuellement dans les années 80, 70 à 80 tonnes de cocaïne vers les États-Unis générant 1 700 millions de $ ! Le recrutement de ses lieutenants et de ses « petites mains » se fait auprès des jeunes désœuvrés. Pourquoi ces gamins, sans aucun avenir, se priveraient-ils de cet argent facile ? Des réseaux d’assassinats, d’enlèvements, d’extorsion de fond se mettent en place : « Le crime au service du crime » !
Les habitants ne se déplacent pas d’un quartier à l’autre, ils ne se promènent pas dans la rue la nuit et essaient juste d’éviter d’être tués. Pablo fait régner un semblant d’ordre dans ce chaos. Pourtant l’angoisse semble être le quotidien de la Comuna 13.
La situation empire à la mort de Pablo Escobar en 1993. Le roi de la cocaïne n’est plus. Celui qui figurait parmi les hommes les plus riches de la planète grâce à ces actions criminelles, celui qui a fait éliminer des milliers de personnes (juges, policiers, militaires, journalistes et autres) tombe à son tour sous les balles de la police nationale colombienne...
Il faut un successeur. Le quartier est alors convoité par toutes les organisations illégales colombiennes : les groupes d’extrême gauche (ELN et FARC), d’extrême droite, les cartels de la drogue, les gangs locaux.
Les crimes, les règlements de compte sont légion. Les morts violentes ne se comptent plus. Les cadavres s’entassent dans les rues. Un climat de terreur s’empare du quartier. Alors que Medellin est la ville la plus dangereuse du monde, la Comuna 13 devient le quartier le plus dangereux de Medellin !
Les années 2000...
Alvaro Uribe, est élu président. Originaire de Medellin, il veut changer les choses. En 2002, les militaires colombiens lancent une vingtaine d’opérations très controversées afin de « nettoyer » la Comuna 13.
Le 16 octobre 2002, l’opération Orion est lancée.
Snipper a une douzaine d’années et il se souvient...
Son quartier, celui dans lequel il a grandi, celui qu’il aime malgré les dangers est littéralement assiégé par des hommes en tenue de combat, des militaires, des policiers et des paramilitaires. Des hélicoptères survolent la zone. 3 000 hommes armés débarquent et livrent une bataille sanglante pendant 4 interminables journées. Nul n’est autorisé à communiquer avec l’extérieur. On reste chez soi et on attend... on ne sait trop quoi ! Les tirs, les cadavres, le sang...
Les habitants sortent leur « drapeaux » blancs. Un, puis deux, puis des centaines !
Le bilan est lourd. Les autorités reconnaissent 300 morts parmi les civils, des centaines de blessés et de disparus dont les corps n’ont jamais été retrouvés ! Selon les habitants, ces disparus ont été tués et les corps jetés dans la déchèterie la plus proche.
Il semblerait (mais ce n’est pas l’avis de tous les habitants de la Comuna 13) que cette opération ait permis de pacifier le quartier même si elle s’est faite au détriment de victimes innocentes !
Peu après, le gouvernement se décide d’aider la Comuna 13. Il met en place sa politique d’aide en créant 385 mètres d’escaliers électriques uniques au monde. Depuis la fin des travaux en 2012, les habitants peuvent se déplacer plus rapidement, plus facilement dans le quartier et rejoindre le centre de la ville.
La guérilla urbaine laisse la place au street art et au hip hop...
C’est à ce moment-là que naît un mouvement de résistance communautaire. Différents collectifs culturels se réunissent pour sensibiliser les jeunes. Le hip hop et les graffitis sont présentés comme une alternative à la violence.
Nous déambulons dans les ruelles colorées.
Des centaines de graffs ornent les murs décrépis du quartier. Ces œuvres éphémères, puisque appelées à disparaître, sont élaborées au pinceau ou à la bombe. Le travail est remarquable de précision, de beauté, de sensibilité d’autant que derrière chaque « dessin » se cache une histoire tragique. Nous sommes contemplatifs et admiratifs de ces tableaux immenses. Il fait l’avouer nous sommes littéralement sous le charme de cet endroit.
La première femme qui est sortie de chez elle avec un drapeau blanc pour tenter de stopper les tirs... Le panda, animal en voie de disparition qui symbolise les enfants morts lors des affrontements...
Devoir de mémoire ou mémoire d'éléphant et toujours les drapeaux blancs...
Trois symboles : la femme, la maternité (l'embryon visible sous le menton) et l'amour (la bouche en forme de coeur).
Un avenir meilleur...
L'espoir.
De petites boutiques destinées aux touristes voient le jours. C’est ainsi qu’un marchand de glace, les meilleures de Medellin 😉, nous régale de ses cornets à la mangue.
Et que dire de ces démonstrations de hip hop qui nous surprennent au détour d’une ruelle.
Quand on voit la difficulté de l'exercice, on ne peut qu'être admiratif !
Aujourd’hui, grâce aux efforts remarquables de la Ville en matière d’intégration sociale des quartiers et de l’action des associations locales, la Trece, comme on l'appelle ici, n’est plus une zone de non-droit.
Qui aurait imaginé il y a seulement cinq ans de cela que nous serions là, flânant sereinement dans ce dédale de ruelles escarpées ? Les habitants qui pourtant ont connus l’enfer sont souriants, détendus, fiers d’ouvrir leurs portes aux touristes venus de tous les pays du monde pour les visiter et tenter de comprendre.
Les trottoirs sont d’une très grande propreté (bien plus que ceux de nos villes... et on ne parle même pas de nos banlieues...). Bien évidemment, tous les problèmes ne se sont pas effacés d’un coup de baguette magique. Les balles sifflent parfois, les gangs s’affrontent, l’économie souterraine existe bel et bien encore mais l’avenir semble se dégager contrairement à chez nous où la violence va crescendo.
La Comuna 13, transformée par ses couleurs, est devenu un incontournable de la visite de Medellin.
L’histoire n’aurait pas été si belle si elle n’avait puisé ses racines dans un passé si sordide.
Pourtant, d’autres « Comuna 13 » existent sur les hauteurs de Medellin et ne demandent qu’à... revivre !
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lydie (vendredi, 31 août 2018 18:37)
alors là, chapeau, c est tout simplement magnifique , et surtout courageux de votre part, les enfants!!!! comme d hab..... on se régale en lisant tes comptes rendus, ma fille, et les belles photos faites par Eric, on en prend plein les yeux , histoire a suivre, bisous a vous tous
Nous deux (samedi, 01 septembre 2018 02:17)
On a vécu un moment extraordinaire dans ce quartier! Tellement emballée que je voulais même y retourner le lendemain mais seuls pour savourer ces instants, pour revoir ces sourires et ces gigantesques œuvres! Mais il fallait continuer... les photos d’Eic sont tellement belles qu’on arrive à détailler chaque expressions des visages. Je me suis éclatée en écrivant le blog (Éric a corrigé les fautes et la ponctuation LOL). J’y ai passé des heures mais je n’ai pas vu le temps passe! Bisousssss ❤️❤️❤️❤️